Publié sur Facebook le 16 novembre 2023.

 

« Deux-Sèvres remarquables » : Gâtine : La trentaine de « boucheries » de Champdeniers.

J’ai été très surpris en lisant en page 174 pour Champdeniers : « L’ancien village comptait aussi une trentaine de boucheries qui produisaient des peaux pour ses nombreuses tanneries ». Une trentaine de boucheries ! Comment cela pouvait-il être possible et d’où l’auteur pouvait-il avoir tiré une donnée aussi peu vraisemblable, surtout si l’on se donne la peine de prendre du recul et le temps de la réflexion ?
Je vais rapporter ma méthode pour comprendre l’origine de cette affirmation et pour mettre en évidence comment une mauvaise interprétation d’informations peut fausser la réalité.
J’ai tout d’abord consulté l’ouvrage récent (2019) «  Champdeniers Petite Mémoire » du couple Moreau qui écrit « Au moyen âge, la pâture est le moyen le plus simple de rentabiliser des terrains souvent impropres à la culture. Il est donc paradoxalement plus facile de produire de la viande que des végétaux. Est-ce pour cette raison que Léo Desaivre dénombre environ trente bouchers à Champdeniers à la fin su XVe siècle ? C’est assez probable. Ce fort pourcentage de marchands de viande rapporté à une population qui n’excède alors pas 1500 personnes, laisse penser qu’à l’époque médiévale l’alimentation devait être assez riche en viande. »
On remarquera tout d’abord que l’on est passé de « bouchers » à « boucheries » chez l’auteur de « Deux-Sèvres remarquables », alors que les boucheries telles qu’on les entend aujourd’hui n’existent que depuis le XIXe siècle. Auparavant, la viande devait être vendue sur des étaux (étals) spécifiques soit sous des halles, soit en un lieu dédié dénommé boucherie, petite boucherie ou halle de boucherie comme à Parthenay.
En réalité, au Moyen Âge, hormis les plus aisés, il se consommait peu de viande, mais par contre, beaucoup de poissons, principale protéine en Gâtine, complétée par des porcs et de la volaille. On consommait également des chevreaux car le lait de chèvre servait à faire des fromages. Chèvres et boucs se retrouvaient donc parfois sur l’étal des bouchers, ainsi que des moutons qui étaient élevés pour leur laine et les agneaux consommés à Pâques. L’élevage bovin ne se développe qu’à partir de la fin du XVe siècle en Gâtine. Contrairement à ce qui est écrit, il n’était pas si facile que cela de développer l’élevage sur de petites parcelles, comme c’était le cas au Moyen Âge en Gâtine, et conséquence d’un défrichement qui s’était étalé jusqu’au début du XIVe siècle. Il fallait des prés et la Gâtine n’en avait pas beaucoup. L’élevage bovin ne se développera qu’en corrélation avec la disparition des étangs pour obtenir le fourrage nécessaire. Seule la création de prairies artificielles par le chaulage des terres au XIXe siècle permettra un véritable développement de l’élevage bovin en Gâtine. En outre, autrefois, le pain de seigle était la principale source de nourriture en Gâtine.
Le couple d’auteurs citant Léo Desaivre, j’ai donc consulté son ouvrage sur Champdeniers « Histoire de Champdeniers », publié en 1893. Il écrit « Le papier censaire de 1494, dont la publication est malheureusement toujours attendue, atteste dès la fin du XVe siècle une prospérité commerciale qui ne fut peut-être jamais dépassée. Il n’y a pas moins de trente bouchers, quinze « jocoiers » (Sous le nom de « Joquoyrerie » semblent se confondre à Champdeniers toutes les branches de l’art du tanneur : Aiguilleterie, blanconnerie, corroierie, mégisserie, tannerie, etc.) exposent sous les Halles les produits de leur industrie ». L’auteur évoque ensuite un autre sujet puis ajoute trois pages plus loin : « En 1494, il y avait sous la grande cohue des étaux pour la paneterie, la boucherie, la poissonnerie, la mercerie, la draperie et la Joqouyerie ». Ce dernier terme désigne les corroyeurs. Léo Desaivre avait fait l’erreur de penser que ce mot désignait des joailliers et il avait écrit un article en ce sens avant de la rectifier dans son ouvrage historique sur Champdeniers. Le couple Moreau n’a pas fait attention à cette correction et a diffusé la fausse information initiale dans leur ouvrage. On se retrouve donc avec 15 joaillers à Champdeniers en 1494, une belle « fake news ».
J’avais retrouvé « par hasard » ce « papier censaire » dans un fonds privé des Archives des Deux-Sèvres où il n’avait pas été référencé dans l’inventaire. Le document est en mauvais état, sali, grignoté et l’encre parfois effacée. Son état n’en rend pas la lecture facile. Cependant, on retrouve bien les informations citées par Léo Desaivre, mais une fois de plus, la manière dont il les a rapportées a favorisé de mauvaises interprétations. Le document ne stipule pas qu’il y a une trentaine de bouchers à Champdeniers, mais une trentaine d’étals servant aux bouchers. Et si l’on pousse l’investigation plus loin, on recense les bancs d’une quinzaine de corroyeurs, 14 merciers, 12 cordonniers, 20 drapiers, 15 poissonniers et d’autres étaux pour d’autres professions. Contrairement à ce qu’écrit Léo Desaivre, ces étaux ne sont pas tous sous les halles de Champdeniers et ils sont même étonnement disséminés à travers le bourg. Il est aussi fait état de la maison de la petite boucherie, qui désigne un lieu où se débitaient les abats, intestins et autres organes du cinquième quartier.
De prime abord, on est forcément surpris d’une telle profusion d’étals pour une commune qui, jusqu’au XXe siècle, n’a jamais dépassé les 1 500 habitants. Il y a une totale inadéquation entre cette profusion d’étals et la population. Par comparaison, il n’y avait que 12 étaux pour les bouchers à Parthenay au XVe siècle pour une population 2 à 3 fois plus importante. Il y en aura 18 au moment de la Révolution pour une population d’environ 4 000 âmes.
Ce que l’on relève dans le document de 1494 est que plusieurs possesseurs sont des prêtres, et que des propriétaires demeurent hors de Champdeniers, à Parthenay ou à Saint-Maixent par exemple. En outre, malgré l’absence d’étude approfondie, les détenteurs d’étals semblent rarement propriétaires d’un autre bien sur Champdeniers.
Il y avait à la fin du XVe siècle trois foires importantes à Champdeniers : celle des Rois le 15 janvier, la grande foire de Notre-Dame et la petite foire de Notre-Dame. Une autre, « du 28 mai », est dite « nouvelle » en 1660, mais je sais par expérience que ce terme peut avoir plus d’un siècle ! Il y aura encore trois autres foires et il y avait surtout le marché du samedi qui est aujourd’hui l’ombre de ce qu’il fut et que je fréquentais lorsque j’avais une dizaine d’années.
Un document de même nature que celui de 1494 fut dressé en 1723, et les étaux y sont nettement plus rares. On peut ajouter à cela des documents dressés entre ces deux dates qui font état de la transformation d’anciens appentis avec étal, en écurie, voire leur intégration dans des maisons.  
Pour synthétiser, le document de 1494 atteste que Champdeniers était un centre commercial important, qu’il y a alors une forte dispersion des étaux à travers le bourg, conséquence d’un développement rapide et non contrôlé du commerce, et que leurs possesseurs ne sont pas tous de Champdeniers. En outre, c’est une situation qui ne durera pas. Dès lors, que s’est-il passé ?
Il faut revenir quelques années en arrière et prendre en compte deux évènements majeurs. Le premier est la prise de Parthenay par le roi en 1487, suivie du démantèlement des fortifications. A la suite de cet évènement, les archives signalent le départ massif de marchands qui considèrent ne plus être en sécurité.
Le second évènement est l’érection en 1490 de Champdeniers en châtellenie, par  François 1er d’Orléans, comte de Dunois et seigneur de Parthenay, au profit de  François de Rochechouart, chevalier, conseiller et chambellan du roi, seigneur de Champdeniers. C’est ce même seigneur de Parthenay qui avait provoqué la « chute » de Parthenay en 1487. Il décède en 1491 et Parthenay est bien loin des préoccupations de son successeur. C’est la mère de ce dernier qui obtiendra du roi l’autorisation de faire reconstruire les fortifications de Parthenay en 1492, et les travaux ne s’achèveront qu’en 1524.
En définitive, les déboires de Parthenay vont favoriser le commerce à Champdeniers et notamment parce que le droit de châtellenie qu’obtient François de Rochechouart lui permet s’accroître le nombre d’étaux, et de créer foires et marchés. Ni les foires, ni le marché du samedi ne sont à ce jour avérés avant 1490, et la situation de 1494 est peut-être la conséquence de la création de ces foires et de ce marché alors que Parthenay avait perdu la confiance des marchands.
Avec le rétablissement des fortifications, les marchands vont revenir dans la capitale de la Gâtine, le commerce va s’améliorer et Champdeniers va perdre de l’importance.
Une étude plus approfondie du dénombrement de 1494 permettrait sans doute d’être plus précis.
Quoi qu’il en soit, les simples bancs pour débiter de la viande par des marchands bouchers venant des environs de Champdeniers sont devenus des boucheries dans « Les Deux-Sèvres remarquables ». Quant aux « nombreuses tanneries », elles ne dépassèrent pas la dizaine, le débit de l’eau de la Grande Fontaine étant insuffisant. Il y eut également quelques tanneries le long de l’Egray.

 

Dessin d’une tuerie et boucherie de l’encyclopédie Diderot et d’Alembert.

 


 

Extrait du dénombrement de 1494 de la châtellenie de Champdeniers, Archives des Deux-Sèvres. Première ligne soulignée « Sensuyvent les cens des bouchiers esquelx se paient a Nouel a la… ». Pour le texte avec soulignement de « lestal » : « Les heritiers Jehan Esteau pour lestal quy fut Jehan Sabourin tenuz Me Severin [&] Pierre Roy tenuz modo Mathurin Pilot ». (« modo » pour « maintenant »).

 

 

Albéric Verdon : https://gatine-parthenay.fr/

 

 

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